Fin février, j’ai passé un week-end à la convention
«
Aka to kin » de Canet-en-Roussillon pour dédicacer le Lycan Blanc.
Je savais seulement qu’il s’agirait d’un de ces salons avec du cosplay, des
amateurs de mangas et de super-héros, mais je ne m’en faisais pas une idée
précise. Tout au plus, j’imaginais quatre tables isolées dans un gymnase
obscur, deux posters de Captain America et toutes les têtes qui se tournent
vers l’unique client perdu qui ose passer la porte, ou encore quelques adultes
bedonnants dans des costumes mal taillés et des ados bizarres boutonneux qui
font des bruits de sabre laser avec la bouche. Bon, d’accord, ils étaient là,
mais une convention geek, c’est tellement plus que ça.
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Le Lycan Blanc entre de bonnes mains |

D’abord, c’est grand - trois salles, près de 40 stands - plein de monde, et de tous âges. Des yeux qui
pétillent et des sourires, des costumes faits main ahurissants de réalisme. La
haute couture peut aller se rhabiller, aucune fille ne sera plus sexy que
déguisée en elfe ou en guerrière post-apo.
En face de moi, j’ai des amateurs de figurines Bionicle
capables de nommer le moindre petit robot et de vous raconter l’histoire de
leur univers avec le plus grand sérieux. D’ailleurs quand ils désignent une
figurine, ils ne disent pas « celui-là », mais « lui ». Et
ces gars-là, qui courent vers la trentaine, parviennent à intéresser des mecs
encore plus âgés. Chapeau.
J’abandonne mon stand, esquive un type habillé en grenouille
et portant une radio portable qui diffuse en boucle une intro d’animé japonais,
me baisse pour éviter une fléchette en mousse, et je vais découvrir les
boutiques. Les épées d’imitation partent comme des petits pains, et les petits
pains, fourrés à la poire, sont préparés par des médiévistes.

Tiens voici
Kakashi et Sakura de Naruto. Je m’interromps, soudain paralysé, réalisant que
je reconnais tous les personnages des cosplays. Malédiction ! Depuis tout ce temps,
j’étais geek moi aussi et je ne l’avais pas remarqué ! Les rôlistes et les
fans de warhammer s’affairent sur leurs tables comme de véritables chefs de
guerre, et je me fais happer dans une partie de Burger Quizz où il manque un
participant. Je croise des nanas improbables qui vendent des mangas érotiques
gays et lesbiens que les clients feuillettent seulement après s’être assuré
qu’on ne les observe pas, des danseurs de J-Pop dont on voudrait se moquer mais
que finalement, on ne peut s’empêcher de regarder - bon juste une dernière
chanson et je retourne à mon stand, oh allez, disons juste deux - des
commerçants qui arrivent à vous refiler des bijoux gothiques que vous n’auriez
pas acheté au quart du prix sur un marché, mais là oui.
Peu à peu, la convention se transforme en grosse famille. Il
y a certes des visiteurs extérieurs, mais le salon a son propre micro-climat,
son économie interne, avec les vendeurs qui claquent tout ce qu’ils gagnent sur
les stands voisins et les cartes de visite qui s’échangent par liasses.
Et je découvre des gens heureux. Cet illustrateur qui fait
une démonstration de speed-painting sur écran géant et qui vit, malgré les
galères, de sa passion. Cette femme qui fabrique des calices médiévaux en
cuisant de la résine autour de verres, cet ancien ingénieur de l’armement
reconverti en fabriquant d’arcs anciens ou cet homme habillé en Merlin qui
possède une roulotte chargée de livres de contes et légendes, dans laquelle on
se dépêche de grimper juste pour la déco.
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Bibi, feintant d'être affairé à la dédicace, juste pour la photo |
Et vient l’inévitable question :
qu’est-ce que je fais moi, derrière un écran la moitié du temps et l’autre
moitié à enchaîner des interviews sur des sujets qui ne me passionnent
pas ? Ces gens sont hors du temps, ils tournent sur les conventions, ne
dégagent pas toujours un salaire, mais sont indépendants, comme détachés du
reste du monde et du stress des deadlines. Et parmi eux, les visiteurs
passionnés de tous bords, eux aussi coupés, le temps d’un week-end, de la
crise, de notre département record de France du chômage qui interdit de
seulement songer à quitter son travail, des lundi matins. Ils se moquent des
jugements et sont capables de débattre de la véritable nature des Sith comme
s’ils évoquaient des amis communs en difficulté.
Et si le bonheur était chez
les geeks ?