Il y a un peu plus de deux ans, j'avais quitté l'Education Nationale et je découpais des couvertures à bulles pour piscine, au ciseau et à genoux, jusqu'à m'éclater les rotules. Quand on m'a proposé un essai dans l'hebdo local, je me suis dit que ça ne durerai que le temps de l'essai. Pas grave, il me fallait une raison de lâcher les ciseaux.
Aujourd'hui, à défaut de vivre de ma passion, je dois bien reconnaître
que je vis de ma plume. Avec le
week-end entre deux numéros, le journal est toujours là, dans l’esprit, jamais
terminé. Un puits sans fond qu’il faut sans cesse remplir d’idées. Et puis le
mois dernier, je trouve quelques heures pour écrire une nouvelle
fantastico-policière en me servant d’un reportage de deux jours réalisé avec la
police et la gendarmerie scientifiques. J’avais déjà mon personnage, mon
enquêtrice. Je n’ai eu qu’à la jeter sur une affaire. J’ai alors feuilleté mes
vieux numéros. Ils sont là, les héros de mes futurs récits. J’ai revu ces
personnes que j’observais des heures durant sur le banc presse de la cour d’assises,
ces gens qui ont tué, violé, séquestré. Elles sont là, mes personnalités
complexes, mes Némésis. J’ai rassemblé les pages portraits avec des sportifs, inventeurs, artistes au parcours à peine croyables. Ils sont là,
mes rebondissements. Aurais-je seulement osé mettre les pieds dans une
synagogue, une mosquée, une salle de conseil municipal, un tribunal, dans une caserne ou à la lisière d’un incendie sans ce boulot ?
Alors, emploi alimentaire peut-être, mais formidable source de matière.
Aiguillon, aussi, qui maintient le rythme. Pour chaque numéro, je dois trouver
une vanne pourrie parce que je me suis engagé à produire un strip de quatre
cases façon roman photo. Quatre rédacteurs du journal vus de dos censés
représenter l’ambiance au bureau avant le bouclage avec les blagues vaseuses
sur les sujets en cours... Aiguillon parce qu’on est un hebdo et qu’il faut
avoir quasiment une semaine d’avance sur un scoop pour espérer griller un
quotidien ou un site internet. Il arrive que l’on bosse des semaines sur un
reportage pour voir le dossier repris par un autre média le jour de l'impression.
Mais quand on est les premiers, quand on révèle un scandale, voire, et ça
arrive, quand on fait bouger les choses pour des gens dont nous étions le
dernier recours, c’est quand même bon. Et les dossiers réalisés en équipe, cet
effet groupe qui a fini par naître, ou les paris en paquets de bonbons qu’on
fait sur la présence ou non des tics verbaux du rédac-chef dans ses papiers... Tout cela compense parfois l'omniprésence d'un journal qui envahit jusqu'à votre vie privée.
Je dois pouvoir faire quelque chose de tout ça, c’est ce que
je me répète. Je dois pouvoir en faire quelque chose, il faut seulement trouver
le bon angle.
On m'a reporté en plein reportage... Ici la technique hasardeuse de l'appareil photo par dessus la foule |